mercredi 27 juillet 2011

En deuil

Ce soir, je dois travailler. Pas le temps pendant la journée, trop de choses à la fois, alors je travaille le soir. Sauf que ce soir je n'y arriverai pas avant de m'être un peu déversée ici.

"Norge er et lite land". Le Norvège est un petit pays, ont pour coutume de répéter les Norvégiens, avec un brin de fierté nationale dans la voix. Dans le contexte actuel, cela a des conséquences très concrètes et d'autant plus dramatiques : lorsque 76 personnes sont tuées dans un pays qui en compte 5 millions, vous finissez forcément par tomber sur quelqu'un qui connaissait personnellement l'une des victimes - si vous n'êtes pas le quelqu'un en question. Alors voilà, pour l'heure, mon compteur personnel en est à 3. J'avais des connaissances en commun avec 3 des 76 personnes tombées sous la fureur d'un fanatique. J'ai envie de vomir, je ne trouve pas les mots pour expliquer ce que je ressens là maintenant tout de suite.

Le pire, c'est que ça va sûrement aller en augmentant. Les journaux norvégiens éditent au fur et à mesure la liste des victimes identifiées, et plusieurs noms n'ont pas encore été publiés. Et je suis là, à attendre le prochain coup de massue, à redouter de connaître les prochaine noms. Là à voir défiler les polémiques débiles dans les journaux français et les déclarations révoltantes de certains hommes politiques. A vous qui êtes en France, frappés par ces nouvelles mais de façon lointaine, je ne vous demanderai qu'une seule chose : de la décence, en refusant la critique stérile et l'indulgence face aux idéologies fascisantes. Au nom du peuple norvégien qui a su se montrer si digne et solidaire au cours de ces derniers jours. Je n'ai jamais vu ça de ma vie. Et c'est ce qui aide à tenir le cap dans un tel contexte.

Je viens juste d'apprendre la mort d'une amie d'une fille que j'ai récemment rencontrée. Cette fille, j'ai bu un café avec elle et son frère en ville, vendredi après-midi. 3h après que nous nous soyons quittées, son amie était mortellement blessée à Utøya. Elle ne l'a appris qu'aujourd'hui.

Lundi matin, quand nous sommes arrivés en classe, nous avons tous été réunis dans un amphi. Le recteur de l'ISS a pris la parole. Très ému, il nous a notamment raconté qu'une amie de ses deux filles était morte. Norge er et lite land. Puis nous avons chanté tous ensemble "Til Ungdommen". Retour en classe. A midi, une minute de silence. Même les voitures se sont arrêtées. Et le soir, la marche aux fleurs dans les rues d'Oslo. Des centaines de milliers de personnes dans les rues, entre 150 000 et 250 000 selon les estimations. Comme si entre 4 et 6 millions de personnes s'étaient réunies dans les rues parisiennes. 5% de la population du pays sur le parvis de l'hôtel de ville et dans les rues alentours, tous une rose à la main, et ce suite à une initiative individuelle lancée sur facebook.

J'y étais et c'était magnifique. Ma bougie s'est ajoutée aux milliers qui brûlaient déjà sur le parvis de la cathédrale. A vrai dire, j'ai même dû la poser un peu plus loin car un policier m'a dit "désolée, mais il y en a déjà trop ici, ça risque de devenir dangereux.". Ce soir, je vois une raison de plus pour l'avoir allumée. J'aurais préféré me contenter de ce que je savais déjà.

L'un des rescapés de la fusillade a prononcé une phrase qui restera dans les mémoires : "Om én man kan vise så mye hat, tenk på hvor mye kærlighet vi kan vise sammen" - "si un homme a pu faire preuve de tant de haine, pensons à tout l'amour dont nous pouvons faire preuve ensemble." J'aurais pu citer tant d'autres phrases magnifiques, prononcées entre autre par le Premier ministre et la famille royale, car le personnel politique norvégien est à l'image de son peuple ces temps-ci : d'une dignité sans égale.

Si cette tragédie vous touche, je ne vous demanderai qu'une chose : n'écoutez pas ce que le tueur veut vous dire, refusez d'entendre, refusez de lire ses mots et sa haine. Cet homme doit mourir. Politiquement, pas physiquement. Ne prononcez pas son nom. Prononcez ceux de ses victimes : des jeunes engagés en politique pour défendre des idées démocratiques. Ils avaient 20, 18, 14 ans pour le plus jeune d'entre eux. C'est à eux que nous devons penser.

Je conclurai par une chanson, celle que nous avons chantée lundi, celle qui est dans toutes les têtes depuis ce week-end : "Til ungdommen" ("au jeune") :

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