vendredi 28 mai 2010

Des réseaux sociaux

Je suis tombée, grâce à Inge, sur un article norvégien portant sur les réseaux sociaux (facebook & twitter, en gros) que j'ai trouvé achement intéressant et je me suis dit que ce serait dommage que vous ne puissiez pas en profiter alors j'ai entrepris de le traduire pour le taper ici.

Notes préliminaires :
- cet article est relativement long.
- j'ai dit intéressant mais ça ne signifie pas que je suis d'accord avec tout ce qui y est dit. Il a été publié dans Morgenbladet. D'après wikipedia, c'est un journal qui a changé plusieurs fois de ligne éditoriale ; il a pendant longtemps été considéré comme étant le grand rival de l'Aftenposten ("Le Monde" local), version conservatrice, mais s'attache désormais plus à parler de culture et de trucs comme ça.
- je me suis efforcé de traduire de façon pas trop dégueulasse, m'enfin ça reste de l'artisanat amateur, donc désolée par avance des tournures pourries voire incorrectes, d'ailleurs si certains passages vous accrochent vraiment la sensibilité littéraire, je suis ouverte à toute autre proposition.

L'article, maintenant :

Réseaux antisociaux

Pour moi, qui tâche de limiter l'utilisation du "je" dans des textes tels que celui que vous êtes en train de lire, recevoir des mails de gens que je ne connais pas et qui veulent m'ajouter en "ami" sur Facebook me fait le même effet, aussi intime, que les lettres personnelles que je reçois de la banque. Je n'ai jamais envisagé d'ouvrir mon propre compte Facebook, qu'en ferais-je ? Je réponds aux courriels et au téléphone quand il sonne. Ceux qui me veulent quelque chose savent où me trouver.

Plus de 40% des Norvégiens vont sur Facebook quotidiennement. Plus de 450 millions de personnes sont concernées au niveau mondial, et les femmes de 55-65 ans constituent le groupe d'utilisateurs connaissant la plus forte croissance. Il y a chaque jour plus de Norvégiens qui vont sur Facebook que de Norvégiens qui ouvrent un livre. Il y a quatre ans, personne n'utilisait Facebook en Norvège. "Nous sommes, en d'autres termes, témoins d'une révolution médiatique qui va bien plus vite que ce que nous pu expérimenté jusque-là", écrivait dimanche 2 mai la rédactrice en chef de l'Aftenposten
[Le Monde local, donc], Annette Mellbye, dans le forum des lecteurs du journal.

Le texte de Mellbye est intéressant car il résumé de plusieurs manières l'opinion dominante. Aucune direction d'entreprise responsable ne peut se permettre de négliger les réseaux sociaux, qui croissent si rapidement et incluent tant de gens. Les lecteurs sont aussi, c'est bien connu, des clients. Quelles possibilités résident là ? Comment en tirer profit au maximum ?

Les réseaux sociaux, lisons nous, change la balance des pouvoirs entre, d'un côté, le peuple, et de l'autre, les institutions. La hiérarchie s'amoindrit et nous (directions d'entreprise, de l'Aftenposten en l'occurrence) devons envisager notre organisation d'une autre façon. Le journalisme doit évoluer, pour ne plus ressembler à une conférence mais à un séminaire. Les médias doivent parler avec, et non au, lecteur. Et la conversation doit prendre forme dans le journalisme. Pour les journaux, écrit la rédactrice en chef, les réseaux sociaux représentent une brèche dans leur fonction traditionnelle de vulgarisateurs, et il s'agit là "d'une évolution positive". Mais qu'est réellement Facebook ? Et Twitter ? A quoi servent-ils et quels problèmes résolvent-ils ?

Facebook a été décrit de toutes les façons possibles, du "téléphone de notre ère" eu marché en passant par le point de rencontre, ou encore comme notre lettre de noël contemporaine - comprendre, une version dorée de notre vie privée -, actualisée tous cinq fois par jour, voire cinq fois par heure pour les plus accros. Le site de micro-bloguage Twitter est pour le moment dominé par les personnes faisant autorité et les leaders d'opinion. Sur ce site, ils peuvent tester des points de vue et débattre de l'actualité avec chacun avant d'écrire leurs commentaires dans des médias publiés, sur papier ou sur la toile.

Une des caractéristiques des réseaux sociaux est qu'ils font tomber la frontière entre public et privé. Ou plutôt : les réseaux sociaux privatisent le public et professionnalisent la vie privée. C'est pratique, pas vrai, de mettre les photos de ses enfants sur un site. Ainsi, amis et grands-parents peuvent aller là, plutôt que de les appeler ou de les mailer un par un. Et c'est bien de savoir ce que Knut Olav, Marie, Hans-Christian et Hilde pensent de tel sujet d'actualité avant d'exprimer sa propre opinion. Ou ? Quelqu'un a-t-il une proposition pour le thème du jour ?

Les réseaux sociaux sont le prolongement naturel d'une culture du narcissisme, dans laquelle les engagements éventuellement pris n'ont de valeur que pour soi. Point. C'est comme s'il n'y avait plus de "nous" désormais, seulement des "je". C'est tellement évident qu'il ne semble presque pas nécessaire de le mentionner. Plus grave, les réseaux sociaux semblent taillés sur mesure pour les personnalités "borderline", c'est-à-dire des personnalités qui reçoivent leur identité de l'extérieur et en changent au gré de leur entourage. Une personnalité borderline est sans cœur et manque purement et simplement de l'outillage mental pour déterminer ce qui est juste et vrai sans écho continu du monde extérieur. Le fait que de nombreuses personnes soient reliées ensemble virtuellement ne signifie pas que toutes soient entendues ou que toutes les opinions soient confrontées. Bien au contraire. L'infrastructure des réseaux sociaux, avec les "amis" sur Facebook et les "abonnés" sur Twitter promeut une dans culture dans laquelle on cherche d'abord et avant tout à discuter avec ceux avec lesquels on est déjà d'accord. Pourtant, le gain du débat démocratique réside justement dans la contradiction. Le défi est de continuer le dialogue, y compris avec ceux que l'on n'aime pas ou avec lesquels on ne partage rien, de sorte à trouver des solutions permettant tout de même de vivre ensemble. Un vrai dialogue démocratique est d'autant plus utile qu'il n'est pas attirant.

Il est pertinent de dire que les soi-disant réseaux sociaux sapent les fondements de la démocratie. Il y a une raison à ce que la politique soit "ennuyeuse", au sens de rituelle et agaçante. L'inertie intrinsèque aux processus politiques garantit que les décisions importantes ne sont pas prises au gré des faits divers. Maintenir une ligne, au-delà de l'instantané, est important. Beaucoup plus important que de tenir compte des opinions improvisées à chaque instant par les membres de Facebook et Twitter. Du côté de la démocratie ritualisée se trouvent aussi la réflexion et le souci de la langue, en opposition à la forme orale et impulsive qui caractérise les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux ont largement été tenus responsables de la victoire de Barack Obama lors de la dernière campagne électorale américaine. Progressivement, de plus en plus de politiciens font savoir qu'ils utilisent les réseaux sociaux comme des conseilles pour des affaires sur lesquelles ils doivent prendre position, et Jens Stoltenberg
[premier ministre norvégien] est l'homme le plus populaire parmi les politiciens de la planète, avec plus de 60 000 amis [ou : un des hommes les plus populaires, je crois avoir compris le plus populaire, mais ça m'étonne un peu quand même].

Pour tous ceux qui ont quelque chose à vendre, la possibilité de communiquer directement avec les clients est, bien sûr, grandement précieuse. Et le besoin d'améliorer la communication avec famille et amis est un peu triste mais compréhensible. Les gens ont peu de temps et le salut pseudo-personnel est peut-être mieux que pas de salut du tout au final ? Dans les faits, l'exigence de "s'inscrire sur Facebook" est discutable. L'idée que le client a toujours raison ne peut pas s'appliquer partout, tout le temps, et quelque soit le contexte. Il est intéressant de noter que Obama, peu de temps après que les photos de lui et Stoltenberg distribuant de nouveaux ipads aient fait le tour du monde, en soit venu à presque déclarer la guerre à cette nouvelle technologie : dernièrement, dans un discours prononcé devant 1100 étudiants de dernière année à l'université de Hampton en Virgine, il mettait en garde contre l'utilisation excessive d'une technologie dans laquelle l'information devient "une distraction et une dérive, une forme de divertissement au lieu d'un instrument utile".

A quoi peuvent être employés les réseaux sociaux ? Leur fonction la plus importante est de saper l'autorité, qu'elle soit formelle ou personnelle. Qu'est-ce que cela signifie, si le journaliste du jour ou de l'instant, Jon "le roi de Facebook" Hustad
[wikipedia me dit qu'il s'agit d'un journaliste et écrivain norvégien] répand des informations négatives sur un nom donné tandis que les personnes visées ne sont pas dans la même liste que Hustad, ne savent pas qu'elles sont attaquées et ne peuvent donc pas de défendre ? Est-il toujours journaliste dans ce cas ? Qu'est-il advenu du droit de réponse ? Facebook et Twitter sont des technologies de pointe du commérage, parfaitement calibrées pour l'incontinence [je doute, mais d'après mon dico, si si, c'est bien ça] morale et langagière. Des discussions internes d'échappent de la salle de réunion vers le réseau, pour réapparaître comme du "journalisme" dans des médias publiés. Twitter est particulièrement efficace de ce point de vue. Une seule phrase est suffisante. "Amis" et "abonnés" prennent soin du reste. Ce qui se légitime comme étant une démocratisation du débat public est en réalité une re-féodalisation. Le débat est contrôlé et administré pas des structures de loyauté complexes et familières. Simultanément dans et hors de portée du public.

Morgenbladet n'a pas de politique pour ses propres salariés en ce qui concerne les réseaux sociaux. Nous ne sommes ni encouragés ni déconseillés de participer aux nombreuses discussions en cours sur Facebook et Twitter. Mais qui a le temps pour ça ? "Je ne le supporte plus", disait Abid Raja, célèbre avocat et gagnant cette année du prix Fritt Ord
[distinction norvégien, signifie "parole libre"] à Dagbladet [autre canard national] l'an dernier, après avoir bloqué l'homme politique de l'Ap [Arbeidpartiet, équivalent du Parti Socialiste], Håkon Haugli, en tant qu'"abonné" sur Twitter. "Il n'avait rien de censé à apporter. J'ai reçu assez de commentaires mesquins de ce côté", dit Raja. Voilà pour le dialogue.

Marit K. Slotnæs



Prochain billet = photos guildfordiennes et londoniennes.

Ah, et voilà le lien vers le myspace de Kaizers Orkestra, groupe originaire de Stavanger qui pète trop de la bombe de balle et dont je crois vous avoir déjà parlé. En plus, ils chantent dans le dialecte du coin, ce qui n'est pas du tout pour me déplaire !

3 commentaires:

  1. J'ai du mal à rejeter totalement les arguments de cette journaliste...
    Cela dit, j'ai tendance à penser que peu de choses sont nécessairement ou totalement mauvaises et donc que la liberté doit-être la règle, sauf parfois en ce qui concerne ceux dont le sens critique n'est pas encore autonome.
    Même si je note que la critique n'est pas spécifiquement dirigé contre les jeunes, contrairement à ce qui se fait d'habitude en France, je déplore le manque de confiance vis-à-vis de ce qu'apporte le changement technique.
    Retenir le principe de liberté ne clôt pas un débat dont l'existence traduit -quoiqu'aiment souvent à en penser les utilisent que nous sommes- les difficultés d'appropriation ne sont ni réglées ni vraiment traitées. En bref, je crois que plus de technique et plus de complexité appellent plus de culture et plus de réflexion, sans quoi tous les réactionnaires auront gagné.
    S'il fallait une ouverture, je serais tenté d'achever mon propos sur l'idée que la technique fait partie de la culture, que l'on soit actif ou passif, conscient ou inconscient à son égard.
    Puisque j'ai écrit que je ne finirai pas ainsi, voici un lien que j'ai trouvé intéressant : http://videos.arte.tv/fr/videos/bonus_web_mensonge-3213568.html
    Pour cette dame, le problème posé par toutes ces "réalités virtuelles" n'est ni la vérité ni même la réalité mais plutôt la perte de repère du jugement. Je vous demanderais bien si l'on peut et peut-être surtout si l'on doit en changer... :p

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  2. Merci pour l'effort de traduction, Caro.

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